Interview de Damien Pilet, ingénieur des travaux publics
La profession de travaux public s’est engagée depuis 2009 dans la réduction de son empreinte carbone. Il est alors devenu essentiel de l’aider à atteindre son but de réduction de ses émissions : la communication du 12 décembre 2015 dans le cadre de l’accord de Paris a eu pour objectif la réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 % d’ici 2030 par rapport à 1990. Les maîtres d’œuvre doivent s’engager auprès des maîtres d’ouvrage afin de les aider à flécher leur chantier vers des solutions plus vertueuses.
Damien Pilet, vous êtes ingénieur des travaux publics, pouvez-vous nous rappeler votre parcours ?
Damien Pilet. Je suis en effet ingénieur des travaux publics. Je travaille chez Ginger CEBTP depuis plus de 15 ans maintenant. J’ai commencé en tant qu’ingénieur d’étude, je suis aujourd’hui responsable technique chaussée. Dans le cadre de ce poste, ma feuille de route est de développer l’ingénierie autour des chaussées, notamment la gestion de patrimoine. Car, rappelons-le, la chaussée est un patrimoine d’un million de kilomètres à l’échelle de la France. J’ai à ma charge également le développement de l’ingénierie routière au travers des diagnostics et de l’environnement.
Pourquoi et comment fait-on une évaluation environnementale ?
D.P. Dans la suite du premier Grenelle de l’Environnement, la profession des travaux publics a signé avec l’Etat, en mars 2009, une Convention d’Engagement Volontaire, dont l’objectif est d’engager la profession dans une réduction de ses émissions, notamment en préservant les ressources et en réduisant les impacts énergétiques et de l’empreinte carbone des travaux.
Pour un maître d’œuvre qui doit réaliser un projet de construction ou d’entretien de voirie, diminuer l’impact de ses travaux, conduit à favoriser, via la mise en place d’indicateurs environnementaux au moment de la consultation des entreprises, une offre qui mettrait en évidence des bonnes pratiques environnementales. C’est le sens de l’article 35 de la loi « Climat & résilience » qui introduit l’obligation de prise en compte d’un critère environnemental dans le code de la commande publique.
Ce critère environnemental peut s’apprécier de manière subjective, en comparant les engagements RSE des entreprises, les promesses de chantier, l’utilisation de ressources durables…
Mais ce critère peut également être objectivé par la mise en place d’une notation environnementale déterministe basée sur les performances concrètes des chantiers, en favorisant ceux qui mettent en avant l’économie circulaire, les matériaux locaux, l’économie de matériaux, les ressources durables et les températures d’application les plus faibles possibles.
Pour tenir compte de l’ensemble de ces paramètres, la mise en place d’une notation unique basée sur plusieurs sous indicateurs bien définis (tonne équivalent C02, énergie, tonne kilométrique, et consommation de ressources) peut permettre de discriminer les performances des différentes entreprises.
Quelles compétences doit avoir un maître d’œuvre pour réaliser une évaluation environnementale ?
D.P. En sus d’une bonne maîtrise de la commande publique et du suivi de chantier, un maître d’œuvre doit également avoir une vision du bilan carbone des travaux qu’il engage.
Pour l’aider, dès 2013, la profession des travaux publics a développé et fait certifier un outil éco-comparateur appelé SEVE® (Routes de France). Cet outil permet de calculer, avec une base de données commune à l’ensemble de la profession, l’impact environnemental de toutes les étapes d’un chantier, de la phase de déconstruction jusqu’à la phase de mise en œuvre. Il sert notamment à favoriser les solutions techniques les plus vertueuses proposées par les entreprises en terme de réduction des émissions. SEVE® est désormais utilisé auprès de différents maîtres d’ouvrage (autoroutiers, conseils départementaux, communes) pour l’évaluation des performances des travaux de chaussées.
Si cet outil se veut organisé comme une calculatrice de chantier, sur laquelle il convient de sommer les impacts des extractions, fabrication, livraison et mise en œuvre de matériaux, SEVE® requiert un contrôle rigoureux des données d’entrée de manière à valider les classements des offres et les performances attendues. Mais également à établir des indicateurs environnementaux en lien avec la politique du maître d’ouvrage.
Mais dans le cadre d’une politique globale de réduction de l’impact environnemental des travaux routiers, un engagement de réduction des émissions va bien au-delà d’une simple note de calcul !
Quelle est l’expertise nécessaire pour pratiquer l’évaluation environnementale ?
D.P. D’abord parce que cette note de calcul s’inscrit dans une démarche globale de recherche de performance environnementale, pour laquelle chaque maître d’ouvrage doit se poser la question de l’impact de ses travaux sur l’environnement pour déterminer quels indicateurs il est pertinent de suivre. Sur cette base, il convient alors de décliner une démarche globale qui comprend la conception des travaux en phase projet, la comparaison des propositions des entreprises en phase d’offre et le suivi d’indicateurs pertinents en phase chantier, de manière à ce que toute la chaîne de travaux soit vertueuse. Et il faudrait même aller plus loin, car la stratégie d’entretien (ou son absence) détermine souvent les besoins carbone des années futures.
Une dernière chose à ajouter, pour conclure ?
D.P. L’impact environnemental est fortement dirigé par l’action des entreprises sur les chantiers. Mais pas seulement, c’est également un engagement à tous les échelons d’un projet. Depuis le maître d’ouvrage qui engage une gestion de patrimoine de chaussée durable, jusqu’au maître d’œuvre qui choisit de valoriser les offres vertueuses et qui oriente l’organisation des travaux de manière à favoriser l’innovation environnementale.
Si la profession de la construction veut atteindre les objectifs de l’accord de Paris, c’est dès maintenant qu’il faut prendre le virage. C’est le travail collégial de tous les maillons de la chaîne qui permettra d’améliorer l’impact des chantiers.
Pour aller plus loin, deux articles parus dans la RGRA de juin 2022 :
– Réduire l’empreinte environnementale des chantiers de chaussées – Intégration de l’éco-comparaison dans les marchés d’ATMB.
– RD 7N à l’est des Bouches-du-Rhône – Un traitement durable pour une route emblématique.
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